Le Petit Traité des grands sites - Réfléchir et agir sur les hauts lieux de notre patrimoine, récemment publié aux éditions Actes Sud par un collectif animé par Jean-Pierre Thibault, directeur régional de l’environnement Aquitaine, présente une réflexion approfondie et nouvelle sur les modes de gestion des sites patrimoniaux en France. Issu du groupe « Grands sites » d’ICOMOS France, cet ouvrage tire les leçons d’un travail de pilotage et d’accompagnement qui, depuis plus de dix ans, a fait évoluer, sur les sites les plus notables et les plus fréquentés de l’Hexagone, les formes de la mise à disposition publique de ce patrimoine naturel et culturel. Le ministère de l’Écologie, en charge de la politique des sites, a créé en 2003 un label « Grand site de France », qui permet aujourd’hui à quarante- quatre de ces sites de s’engager dans une démarche innovante de gestion, de communication et de diffusion culturelle.
L’intérêt des pays de vieille civilisation pour leur patrimoine naturel et culturel est ancré en eux sous des formes ancestrales, qui se sont montrées éminemment évolutives et diverses dans leurs formes au cours du temps. Cet intérêt est déjà présent dans l’Antiquité, avec aussi la curiosité pour les civilisations proches, plus anciennes, ou rivales. Depuis la Renaissance, l’intérêt pour le patrimoine s’est approfondi et transformé, dans les pays occidentaux, avec l’accélération du processus de leur histoire et la conscience que prenaient ces pays de la spécificité de ce processus.
Au XIXe siècle, l’idée de progrès affirme la conscience d’une supériorité planétaire de l’Occident, et aussi un devoir de remémoration -le culte des monuments- qui va avec le sentiment même de l’évolution historique, avec les mutations et les pertes qui accompagnent l’émergence de réalités techniques, économiques, sociales et politiques toujours nouvelles.
Le culte des monuments est une part essentielle des rites identitaires de l’élite aristocratique et bourgeoise depuis le XVIIIe siècle, il se diffuse et se généralise avec l’invention du tourisme qui en est le corollaire sur le plan des pratiques de déplacement, de loisir et de construction de soi.
Dans les pays d’Europe engagés depuis longtemps, et plus spécialement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans un processus de démocratisation politique, économique et culturelle, les pratiques du loisir touristique se sont généralisées, et avec elles la transmission culturelle que permettent les voyages, petits et grands. Découvrir les splendeurs naturelles et historiques du territoire national et international n’est plus réservé à une élite.
L’époque de Ruskin et de Proust a donné des cadres mentaux pour apprécier le patrimoine.
Le siècle qui avance aspire à de nouveaux modes d’apprentissage et de compréhension de ce bien commun. Sur cette question de l’interprétation, de la réception, de la mise en lecture des monuments et des sites, un travail considérable d’ajustement et de mise à jour était à faire. Ce à quoi s’emploient les gestionnaires des sites, les écoles qui les forment et ceux qui les conseillent.
Un Grand site est un lieu où se cherche une culture partagée, une culture rénovée ou ravivée, qui permet aux membres d’une société de continuer à comprendre son héritage et d’identifier ce qui la constitue. La vie très forte des pratiques patrimoniales dans les vieux pays d’Europe témoigne d’une quête toujours instante de leur projet d’excellence, le sentiment d’un message qui se transmet, d’une ouverture qui demeure… celle d’une tâche à poursuivre.
Odile Marcel
Philosophe et écrivain, professeur honoraire à l’université Lyon III
Bibracte, Grand site 2008
Au cœur du Morvan, sur le mont Beuvray, l’oppidum de Bibracte a connu une gloire éphémère avec la venue de Vercingétorix puis de Jules César. Aujourd’hui, ce site oublié est devenu la vitrine archéologique de l’Europe, il dispose d’un musée et d’un centre de recherche. La forêt qui le couvre et l’entoure s’étend sur mille hectares et exige une gestion programmée sur cent ans. L’exploitation détermine les arbres à maturité, prépare les coupes en fonction des lisières pour favoriser l’ouverture du paysage et mettre en scène les lieux de fouilles invisibles en ménageant des clairières. Sur ce terrain acide de moyenne montagne, l’interaction entre la nature et le travail des hommes crée des caractéristiques particulières. Cette complémentarité a également été prise en compte au sein du musée, qui présente la civilisation celtique à travers des thématiques accessibles à tous : la vie quotidienne, les artisans, les matériaux de construction. Cependant, des pans entiers de l’architecture, notamment les courettes, ont été laissés en jachère en raison de la
rigueur du climat. Une actualisation s’impose aujourd’hui ainsi qu’une extension pouvant accueillir les équipements qui font défaut : auditorium, salle d’expositions temporaires. Enfin, le Centre européen de recherche et de formation cherche, lui aussi, son prolongement. Il devrait vraisemblablement centraliser les collections de l’État et offrir un véritable centre de ressources aux chercheurs. Dès à présent, il accueille près de sept mille archéologues et étudiants qui participent activement aux fouilles.
La lecture des fouilles pose un problème majeur au cours de la visite. En effet, au fur et à mesure des campagnes d’exploration, les secteurs sont recouverts par mesure de protection. Il devient ardu pour le public de comprendre la topologie du site et de se représenter les principaux quartiers. Même les vestiges des fortifications sont difficilement décelables. Afin de dépasser cette approche hasardeuse, un abri contemporain conçu par Paul Andreu protège le champ de fouilles du complexe basilical, désigné sous le terme de forum. Le prototype en aluminium et toile enduite est composé de poteaux et de poutres triangulaires qui ne nécessite pas de fondations. La couverture est mise en tension par le poids de sacs emplis de terre et de pierres. La structure a l’avantage de protéger les vestiges, mais obère fortement la vision du paysage. V.H.